Recherches


Le 6 décembre 2015

Elle s’appelait Maria Silberstein.
Silberstein, est un nom aux belles sonorités qui allie à la grâce la blancheur de la « pierre d’argent » et qui aurait pu trouver son origine dans une lignée de bijoutiers. Pourtant, c’est une longue lignée de tailleurs qui la précéda et lui succédera bien qu’aucun membre de sa famille n’eut jamais eu Schneider pour patronyme.
Longtemps, j’ai cherché quelle femme se cachait derrière ce nom, interrogeant ceux qui auraient pu la connaître, explorant assidument listes et registres aussi bien dans les services d’état-civil des mairies de Paris que dans différents services d’archives.
 
Paris
Longtemps
à travers tes quartiers
j’ai erré
cherchant les souvenirs
d’une enfance effacée,
une odeur,
un geste
ou un regard lointain
d’hier ou de demain.
Mémoire factice
image à inventer,
dans les rues de Paris
je saurai te trouver.

Mes premières investigations remontent aux années 1987, alors que Maria constituait déjà une énigme depuis ma plus tendre enfance. Car, contrairement aux autres personnes que je recherchais, aucune photographie ne la représentait, aucun document ni parole ne permettait d’évoquer son histoire, elle n’avait pas d’existence au sein de notre famille.
Je suivais à l’époque la trace des membres de ma famille disparus pendant la guerre avec pour dessein de retrouver : les actes de naissance, décès, mariage de ceux qui venus s’installer à Paris, avaient fondé un foyer et misé dans cette ville tous leurs espoirs de vie. 
J’orientais mes recherches vers les quartiers de Paris les plus populaires pour explorer en priorité les services état-civil des mairies d’arrondissements vers lesquels avaient afflué le plus grand nombre d’immigrés et où il me semblait que mes proches auraient pu habiter. Peut-être avais-je retenu des propos à ce sujet, paroles échangées entre les adultes au cours de conversations auxquelles les enfants n’étaient  jamais conviés.
Ainsi, je misais prioritairement sur les : troisième, quatrième, dixième, onzième, douzième et vingtième arrondissements de la ville.
Au gré de mes activités, j’explorais les rues de Paris, m’arrêtant dans l’une ou l’autre de ces mairies de prédilection, pour retrouver le document qui pourrait contribuer à initier une histoire.
Dans cet objectif et suivant les conseils d’un officier municipal, j’adressais au procureur de la République au Tribunal de Grande Instance de Paris, une demande d’autorisation de consulter les registres d’état civil de moins de cent ans dans les vingt mairies d’arrondissement de Paris.
La première autorisation, délivrée en date du 3 octobre 1989 et valable six mois, sera renouvelée par la suite à trois reprises en 1990, 1991 et 1992.
Ce projet se déploya sur de nombreuses années en raison, d’une part d’une recherche menée à une époque où la numérisation des fichiers n’existait pas et d’autre part, du fait des délais inhérents à une démarche douloureuse, régulièrement interrompue par les aléas de mon existence.
Ces autorisations, obtenues sans difficultés, constituaient à chacune de mes visites un passeport d’entrée. A sa présentation, les fonctionnaires de mairie me montraient avec plus ou moins bonne grâce, les étagères sur lesquelles les registres volumineux, de couverture cartonnée noire et souvent écornée, étaient classés par années ainsi que la place de la photocopieuse. Ils me laissaient ensuite travailler tranquillement dans un espace souvent exigu où je pouvais compulser les livres un à un.
La mairie du douzième arrondissement fut l’un de mes lieux de recherches privilégié. Il était aisé de m’y rendre car je travaillais à cette époque à l’hôpital Saint-Antoine et dès qu’une opportunité se présentait, je m’évadais par la sortie de la rue Crozatier. Ainsi, je rejoignais très vite la rue de Charenton pour me retrouver, après quelques minutes de marche, au 130 avenue Daumesnil, adresse de la mairie.  Je savais de plus que ma sœur était née dans cet arrondissement à l’hôpital Rothschild et que ce lieu avait initialement vocation d’accueillir et soigner les patients d’origine juive.
Après plusieurs mois de recherches infructueuses, je découvris l’acte de naissance de Maria sous le numéro 290, recopié à la main d’une écriture ronde, il précisait : « L’an mil neuf cent six, le vingt-sept janvier, à trois heures et demi du soir acte de naissance de Maria Silberstein du sexe féminin, née hier matin à huit heures, rue de Picpus, 76 : fille de Salomon Silberstein, âgé de vingt neuf ans, tailleur, et de Anna Schmeiss âgée de vingt-huit ans, ménagère, mariés, domiciliés rue des Rosiers 22.. .. » Suivi du nom des signataires de l’acte.
En marge de l’acte, deux ajouts, l’un porte le numéro 2348 - Mariée à Paris troisième arrondissement le vingt-six février mil neuf cent vingt-cinq avec Rafaël PODCHLEBNIK et l’autre 335- Décédée à Drancy (Seine) le vingt-neuf juillet 1942, la suite est illisible.
Ces annotations datent de 1962 et plus précisément du 10/9/1962 inscrit en regard de ces mentions.
Je me suis étonnée qu’elle soit morte à Drancy et en fut presque soulagée songeant qu’elle avait échappé à l’enfer de la déportation vers les camps, mais ce soulagement fut de courte durée car je compris un peu plus tard qu’il s’agissait d’une indication erronée.
Entre sa naissance en 1906 et sa mort en 1942, j’ai voulu savoir ce qu’avait vécu pendant trente six ans cette parisienne qui fut, durant quelques années, l’épouse de mon grand-père paternel.

Le temps
Fluide
Ecoule
A l’infini
Une perle de nuit

Etre dans un autre
Temps
Etre autre
De temps en temps

Le 1 novembre 2015

 

Vernou-sur-Brenne

Le jeudi 2 juin 2011, jour de l’ascension, je pars à la recherche de l'endroit où mon père a été caché en Touraine comme aide-jardinier une partie de la guerre et emporte comme précieux indice, la carte postale reçue dans mon enfance par le Professeur Robert Debré.
Après un périple à travers la ville et les vignes, accompagnée de mon amie Patricia, je découvre la propriété « Les Madères ».
Malgré cette venue impromptue qui coïncide avec l’arrivée des propriétaires de Paris, les portes me sont ouvertes. Un accueil chaleureux et une écoute attentive me permettent d'évoquer l’histoire de ma famille. L’arrière arrière-petite-fille du Professeur Debré, au beau visage encadré de tresses blondes, avec sa spontanéité et curiosité d’enfant, m’a particulièrement émue.
Peu après cette visite, je lis « L’honneur de vivre » de Robert Debré qu'il achève en signant : « Les Madères » mars 1974. Cette lecture m’apprend comment il réalisa le sauvetage des enfants juifs à l’aide d’un réseau de résistance très organisé en les plaçant dans des familles en Touraine.
Je suis interpellée par cette phrase qui résonne dans mon histoire : « Tout récemment j’ai reçu la lettre de la fille d’un de ces enfants devenu père de famille…  qui, évoquant le temps où, gamin, il avait aidé à l’entretien du potager, me renouvelait, trente ans plus tard, l’expression de sa reconnaissance. Je me souviens, que pour lui en particulier, la fabrication de fausses cartes d’identité avait été difficile….. »

Le 6 septembre 2015

Récapitulatifs des recherches, lieux consultés, documents obtenus 

Demandes auprès du Tribunal de Grande Instance de Paris pour l'autorisation de consulter les registres d'état civil de moins de cent ans dans les vingt mairies d'arrondissement de Paris :
Première autorisation en date du 3 octobre 1989,  renouvelée à trois reprise en 1990, 1991 et 1992.

Service des archives de Paris, 18 boulevard Serrurier 75019 Paris :
Recensements de la ville de Paris
canadp-archivesenligne.paris.fr : Consultation en ligne des fichiers alphabétiques de l'état civil et des registres jusqu'en 1902.

Centre de documentation juive contemporaine (CDJC) devenu Mémorial de la Shoah en 2005 : 17 rue Geoffroy L'Asnier 75004 Paris
www.memorialdelashoah.org  :  musée et centre de documentation juive contemporaine sur l'histoire de la destruction des Juifs d'Europe
www.memorial-wlc.recette.lbn.fr : encyclopédie multimédia de la Shoah
En septembre 1989, je découvre le nom de mes grands-parents, de mon grand-oncle et de plusieurs autres Podchlebnik dans les listes de convois en partance pour Auschwitz établies par Serge Klarsfeld.

Yad Vashem The Holocaust Martyrs' and Heroes' Remembrance Authority, P.O.B.3477, Jerusalem 9103401 Israel
Consultation des feuilles de témoignage des familles sur leurs proches disparus pendant la deuxième guerre mondiale.

Mairie du Bousquet d’Orb :
Extraits d’état-civil de la famille Podchlebnik venue de Belgique, pas de liens retrouvés.

Ministère des Anciens Combattants :
Fiches d’internement à Drancy, Renseignements sur les non-rentrés »
Fiche d’internement à Drancy de ma tante Anna Podchlebnik datée du 11 février 1943,  libérée le 31 mars 1943 (extrait du fichier Drancy enfant).

Archives de Vienne :
Demande de renseignements sur les camps pour personnes déplacées restée sans réponse.

Direction des archives de France rattachées au Ministère de la culture et communication :
Fichiers d’internement individuel et familial de Drancy.

Secrétariat chargé des anciens combattants et des victimes de guerre :
Échanges de courriers en 1991 et 1992 :
Actes de disparition, les titres de « déporté politique », les rectificatifs d’état civil de Maria Silberstein.
Texte de loi du 15 mai 1995 sur les actes et jugements déclaratifs de décès des personnes mortes en déportation.
Arrêté du 6 février 1992 portant apposition de la  mention « mort en déportation » sur les actes de décès en remplacement de celle « Morts pour la France ».

Service des naturalisations du Ministère des affaires sociales et de l’intégration :
Un courrier daté du 30 septembre 1992 précise que mon grand-père a été naturalisé Français par Décret du 8 octobre 1936.

Archives de la Préfecture de Police de Paris,  4 rue de la montagne Sainte Geneviève 75005:
Liste relative au recensement effectué dans le 3ème arrondissement de Paris en octobre 1940,
Liste des personnes venues au commissariat du 3ème arrondissement de Paris retirer, après émargement, deux insignes juifs ou étoiles jaunes, en juin 1942, dont le port avait été rendu obligatoire en zone occupée après promulgation d’une ordonnance allemande les 28/29 mai 1942.
Bordereau de la rafle du Vélodrome d’Hiver, établi à l’intérieur du camp de Drancy qui mentionne le montant des sommes confisquées aux internés à leur arrivée au camp.

ITS, service international de recherches
Grosse Allee 5-9 34444 Bad Arolsen Allemagne
www.its-arolsen.org The International Tracing Service (ITS)
Photocopies des extraits du registre de décès du bureau d’état civil d’Auschwitz.

Archives de Lodz, Archiwum Panstwowe W Lodzi 91-415 Lodz, pl.Wolnosci
Tél. 042 632 02 02 :
Recensement de Lodz du 14 octobre 1918. Ce document en Allemand et en Polonais concerne mon arrière-grand-père Abram et les membres de sa famille.
Fiches de domiciliation établies dans le ghetto de Liztmanstadt signalant les dates de l‘occupation puis de la libération des appartements.

Service généalogie du Parquet du TGI de Paris, 14 Quai des Orfèvres, 75059 Paris Cedex 01:
Copies intégrales d’actes d’état civil

CIVS  Commission d’Indemnisation des Victimes de Spoliations ; 1 rue de la Manutention 75016 Paris
www.civs.gouv.fr, ce site décrit les principes et le mode de fonctionnement de cette instance « chargée de la réparation des préjudices résultant des spoliations intervenues du fait des législations antisémites lors de l’occupation ».
Étudie les requêtes de spoliation et autorise la consultation des dossiers familiaux archivés.

Archives Nationales de Paris, 60 rue des Franc-bourgeois 75003 Paris :
Dossiers de naturalisation, dossiers déplacés depuis aux archives de Fontainebleau.

Archives de Fontainebleau, 2 rue des Archives 77 300 Fontainebleau Tél. 01 64 31 73 00
www.archivesnationales.culture.gouv.fr : Site des Archives Nationales implantées sur trois sites Paris, Fontainebleau et Pierrefitte-sur-Seine.
Consultation des dossiers de naturalisation.

Service historique de la Défense, Château de Vincennes, Avenue de Paris 94306 Vincennes Cedex
Le SHD est l'un des trois services d'archives de l’État. Il contrôle, collecte, classe, conserve, communique au public et valorise les archives produites par le ministère de la défense et les organismes qui en relèvent.
Recherches sur le STO.

Archives de l’O.R.T France, Institution juive d'éducation et de formation crée en 1921, 10 villa d’Eylau 75116 Paris http://www.ort.asso.fr/archives-et-histoire.htm
Registre des élèves 1940-1943 avec les dates d’inscriptions de mon père dans plusieurs classes d’apprentissage de cette école.

Centre Historique des archives de Caen : bureau des archives des victimes des conflits contemporains, Rue Neuve Bourg l’Abbé BP.552014037 Caen Cedex
Documents sur les centres de rapatriements établis en France au retour des déportés avec l’organisation des dispositifs de soins.
Fiche médicale de mon père au retour du STO établie au nom de Valentin Pouchubrun.
Liste des internés juif de Drancy atteints d’oedèmes, proposés pour la libération et libérés le 4/11/41 sur laquelle figure le nom Salomon Podkhlebnik, cousin de mon père.

Entretiens avec Jacob Szmulewicz à Paris, ancien résistant des FTP-MOI du groupe Carmagnole Liberté, en 2012 sur l’engagement de ce cousin  Salomon.

Yahad-in unum, 114 boulevard de Magenta 75010 Paris
http://www.yahadinunum.org : Site de l'association du père Patrick Desbois
Visualisation de témoignages, lecture de documents sur la Shoah par balles en Ukraine notamment.

Archives de Düsseldorf  Landesarchiv NRW Abteilung Rheinland, Bezirkregierung Am Bonneshof 35 Düsseldorf
Consultation des dossiers de demande de pension des victimes des persécutions nazies.

Recherches et consultations sur différents sites :
www.ellisisland.org : Site de la Fondation Ellis Island
Recherche des fiches d’enregistrement des passagers au nom de Samuel Schwarz

www.ajpn.org : Site des « Anonymes, Justes et Persécutés durant la période Nazie dans les communes de France. »

www.camp-de-drancy.asso.fr/fr/pp.htm : Site du camp de Drancy

www.ushmm.org : Site de l’United States Holocaust Memorial Museum

http://archives.aphp.fr/ : site des archives de l’AP-HP
7 rue des minimes 75003 Paris
Copies des registres de naissance, de décès et d’accompagnement des corps.

Sites de généalogie :

Les interrogations sur l'histoire de mes parents ont marqué mon enfance et mon adolescence ainsi qu’une grande partie de ma vie d’adulte.
Mes recherches, entreprises dans les années 1989, s’étendent sur plus de 20 ans. Elles furent ponctuées de longues périodes d'interruption avec alternance d'écriture poétique, de silences, de questions posées par courriers à diverses institutions françaises et étrangères. Fin 2010, je repris plus intensivement mes démarches avec le projet de concrétiser l’écriture de cette histoire.
Comme des bouteilles jetées à la mer, je cherchais sans savoir ce que je cherchais vraiment ; il y avait des listes de noms qui ne correspondaient qu’à des listes de morts dont je ne pouvais m’approprier une quelconque histoire, comme une masse informe sans distinction. Ces listes de morts allaient devenir aussi des listes de vies.
Petit à petit les noms retrouvés se sont inscrits dans une histoire comme les maillons d'une chaîne qui se construit progressivement.
Dans un premier temps, il y eut les demandes d’autorisation auprès du Tribunal de Grande Instance de Paris pour consulter les registres d’état civil de moins de cent ans dans les vingt mairies d’arrondissement.
Ces autorisations, obtenues sans difficultés, constituaient à chacune de mes visites un passeport d’entrée. A leur présentation, les fonctionnaires de mairie me montraient avec plus ou moins bonne grâce, les étagères sur lesquelles les livres volumineux, de couverture cartonnée noire et souvent écornée, étaient classés par années, la place de la photocopieuse et me laissaient ensuite travailler tranquillement dans un espace souvent exigu où je pouvais les compulser un à un.
Je passais ainsi de longues heures dans les services des mairies, décryptant page à page des écritures encore souvent manuscrites, parfois difficilement lisibles, en quête d’un passé qui me faisait cruellement défaut.
C’est ainsi que je retrouvais les extraits de naissance, mariage, décès de plusieurs membres de ma famille.

Je me rendis pour la première fois en septembre 1989 au centre de documentation juive contemporaine (CDJC), devenu mémorial de la Shoah, où je découvris, sur les listes des convois établis par Serge Klarsfeld, les noms de mes proches.
Je me revois lisant les noms de mes grands-parents et de mon grand-oncle sur les listes classées par date de départ des convois vers Auschwitz et le choc douloureux qui m’avait littéralement tétanisé devant cette réalité qui jusque là ne représentait qu’une histoire un peu abstraite bien que toujours insidieusement présente.
La bibliothécaire, une femme assez âgée, au fort accent yiddish, qui avait cherché les documents, m’avait alors consolé et j’étais rentrée chez moi avec ces noms gravés dans ma mémoire et un sentiment mêlé de désespoir, de rage et d’impuissance.
Par la suite, revenant à plusieurs reprises au Mémorial, j'ai pu discuter avec des chercheurs en histoire venus de tous horizons et ces échanges finirent par donner une intensité un peu moins dramatique à cet événement familial intolérable en le replaçant dans le contexte plus général de la « grande histoire ».


Le 31 août 2015
A la lecture du roman de Patrick Modiano, Dora Bruder, une forte émotion s'empara de moi au fur et à mesure de mon avancée dans le récit.
Les dates et les lieux décrits résonnaient comme un miroir révélateur de mon histoire familiale.
Ce fut la date de naissance de Dora, le 25 février 1926 à Paris qui retint tout d’abord mon attention car elle correspondait, à une semaine près, à celle de mon père né le 18 février 1926 à Paris également.
Puis, l’indication du lieu de naissance, 15 rue de Santerre, m’interpela car je me souvenais avoir lu cette même adresse sur les actes de plusieurs membres de ma famille paternelle.
Deux adolescences tourmentées se superposaient. Celle de mon père qui avait du se cacher pour échapper aux rafles et à la déportation et celle de Dora fugueuse dans cette même période de guerre à l’âge supposé de l’insouciance et de tous les possibles.

J’ai étudié plus précisément les actes d’état civil rassemblés au cours du temps dans un classeur noir.
Pour les obtenir, je ne m’étais m’étais pas rendue au Palais de justice de Paris, comme le décrit P.M. dans son livre. Un courrier reçu du procureur de la République m’autorisait la consultation des registres d’état civil dans les vingt mairies de Paris.
J’avais ainsi trouvé l’acte de ma grand-mère paternelle, Maria, à la mairie du 12ème arrondissement :
« L’an mil neuf cent six, le vingt-sept janvier, à trois heures et demi du soir acte de naissance de Maria Silberstein du sexe féminin, née hier matin à huit heures, rue de Picpus, 76 : fille de Salomon Silberstein, âgé de vingt neuf ans, tailleur, et de Anna Schmeiss âgée de vingt-huit ans, ménagère, mariés, domiciliés rue des Rosiers 22.. .. » Suivi du nom des signataires de l’acte.
En marge de l’acte, deux ajouts numérotés, l’un 2348 - Mariée à Paris troisième arrondissement le vingt-six février mil neuf cent vingt-cinq avec Rafaël Podchlebnik et l’autre 335- Décédée à Drancy (Seine) le vingt-neuf juillet 1942, la suite est illisible.
Ces annotations datent de 1962 et plus précisément du 10 septembre 1962.
Je m’étais étonnée qu’elle soit morte à Drancy et en avait été presque soulagée songeant qu’elle avait échappé à l’enfer de la déportation vers les camps, mais cette indication s’avéra par la suite être erronée.

La lecture de Dora Bruder, m’apprit que ce lieu de naissance 76 rue de Picpus était l’hospice de Rothschild, crée pour les vieillards et les juifs indigents. Le 15 rue de Santerre, situé à proximité, désignait l’accès à l’hôpital Rotschild.

C’est ainsi que bien tardivement au regard de mes recherches initiales, je pris conscience d’une évidence qui jamais jusque-là ne m’avait effleurée, les adresses de naissance ou de décès inscrites sur les actes d’état civil pouvaient aussi être des adresses d’hôpitaux !

Cela me permit de faire d’autres liens. L’adresse de naissance de mon père au 40 rue Bichat correspondait à l’hôpital Saint Louis.
Étonnamment, j’avais passé plusieurs années comme étudiante en médecine et employée d’été dans cet hôpital, privilégiant ce lieu de stage en raison de sa proximité avec mon domicile. Je n’avais alors pas conscience que mon père était né là, il ne m’en avait sans doute jamais parlé ou alors cette coïncidence ne m’avait pas marquée ou ne m’intéressait pas  à  cette époque.
L’adresse de naissance du demi-frère de mon père, Marcel était l’hôpital Saint Antoine.
L’hôpital Trousseau avait été le lieu de décès de Marcel et l’hôpital Tenon celui de mon arrière grand-père Salomon Silberstein. Salomon, né à Varsovie en Pologne en 1876, était le père de ma grand-mère Maria, mère de mon père.

Je pris alors contact avec les archives de l’AP-HP qui mettent à disposition les copies des registres de naissance, de décès et d’accompagnement des corps. http://archives.aphp.fr/

Les informations suivantes me furent envoyées : Salomon Silberstein, entré à Tenon le 26 juin 1925, à l’âge de 49 ans,  mourut le jour même d’un collapsus cardiaque ; Marcel Podchlebnik,  entré à l’hôpital Trousseau le 27 février 1946 mourut ce jour là, la cause du décès est « inconnue ». Non seulement inconnue mais restée obscure avec deux versions différentes, la thèse de la maladie ou celle de l’accident de voie publique.

Maria, devint orpheline de son père alors qu’elle était enceinte de mon père ce qui explique pourquoi il reçut le même prénom que son grand-père, Salomon.

Le 20 août 2015 
Archives nationales de Lodz

Il y a quelques années, allant acheter des médicaments à la pharmacie de mon quartier, je fis la connaissance d’une femme avec qui j’allais nouer des liens précieux.
Examinant l’ordonnance que je lui tendis elle prononça mon nom avec un accent slave d’une façon tellement inhabituelle par sa perfection que je ne manquais pas de m’en étonner et de m’en réjouir tout en lui demandant de quel lieu elle était originaire. Ainsi, j’appris que cette femme chaleureuse venait de Galicie en Pologne et que le train qui la conduisait le matin à l’école s’arrêtait en gare de Rozwadow, ville de naissance de ma mère.
Par cette rencontre, je nouais un nouveau lien avec mes origines.
Nous eûmes par la suite de nombreux échanges sur l’histoire des juifs de Pologne dont elle ignorait la réalité de toutes les persécutions. Des années de communisme avaient édulcoré l’histoire et son enseignement.
Elle fut une aide précieuse pour la recherche et la traduction des documents reçus des archives de Lodz fin 2011.

Les documents relatifs à ma famille paternelle, comportaient le recensement de la ville de Lodz de 1918 et les états d'occupation et de libération de leur appartement à l’époque du ghetto.


(Archives nationales de Lodz)


Une lecture attentive me donna de précieux renseignements. Mon arrière grand-père, Abram Podchlebnik,mort dans le ghetto de Lodz, avait enfin une existence.
Marié à Hanna Katz, il avait eu 4 enfants nés à Uniejow et Vilna, dont une fille Dora décédée en bas âge.
Il s’était installé à Lodz au début du siècle dernier,  avec sa femme, leurs deux fils Joseph et Rafaël et leur fille Rywka, pour s’établir comme tailleur dans cette ville au développement industriel textile florissant.
Ils habitèrent une rue qui changea plusieurs fois de nom au cours du temps et des évènements politiques.
Le recensement de la ville de Lodz de 1918, la désigne comme rue Aleksandowska.
Elle sera Ulica Zydowska (rue aux juifs) lors des demandes successives de naturalisation faites en France par mon grand-père Rafaël qui quitta la Pologne avec son frère Joseph en 1920. A l’époque du ghetto de Liztmannstadt, cette rue fut rebaptisée Cranach Strasse  par les allemands qui gardaient leur âme artistique en toutes circonstances et dès la fin de la guerre en 1945 elle deviendra la rue des combattants du ghetto de Varsovie ou Bojownikow Getta Warszawskiego.
L’arrière-grand-père dont j’ignorais tout jusqu’à récemment habitait l’appartement 32 du 13 Cranach Strasse à Lodz où il vécut jusqu’à l’âge de 73 ans.
Bien sûr il me sera difficile de ne pas penser à la souffrance qu’il connut dans les terribles conditions de survie du ghetto et probablement dans sa longue vie de labeur, mais il connut aussi une vie de mouvance, de travail et de quotidien avec tous ses aléas.


Fiches de résidence des habitants du ghetto de Lodz
(Archives nationales de Lodz : actes de l'association des anciens juifs du ghetto)











Commentaires


  1. Je suis tellement ému de lire la description de votre voyage, et long de ce voyage avec vous

    Vous envoyer mon amour de Varsovie,
    votre cher ami et compagnon de voyage,
    Marla

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  2. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

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  3. Je me sens si proche de votre parcours, chère Mireille! Nous nous sommes rencontrées grâce à notre ami commun Rüdiger Fischer, trop tôt disparu, et voilà que nous nous retrouvons autour d'un même centre d'intérêt: le destin de familles juives polonaises dans ce XXème siècle terrible. Robert Debré a-t-il été reconnu Juste parmi les nations? A très vite, au plaisir de vous revoir à Paris. Yaël Armanet, Israël.

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    Réponses
    1. Merci Yaël, je découvre ce message après notre rencontre qui confirme que nous avons tant à partager...

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