Recherches
Le 6 décembre 2015
Elle s’appelait Maria Silberstein.
Silberstein, est un nom aux belles sonorités qui allie
à la grâce la blancheur de la « pierre d’argent » et qui aurait pu
trouver son origine dans une lignée de bijoutiers. Pourtant, c’est une longue
lignée de tailleurs qui la précéda et lui succédera bien qu’aucun membre de sa
famille n’eut jamais eu Schneider pour patronyme.
Longtemps, j’ai cherché quelle femme se cachait
derrière ce nom, interrogeant ceux qui auraient pu la connaître, explorant
assidument listes et registres aussi bien dans les services d’état-civil des
mairies de Paris que dans différents services d’archives.
Paris
Longtemps
à travers tes quartiers
j’ai erré
cherchant les souvenirs
d’une enfance effacée,
une odeur,
un geste
ou un regard lointain
d’hier ou de demain.
Mémoire factice
image à inventer,
dans les rues de Paris
je saurai te trouver.
Mes premières investigations remontent aux années 1987,
alors que Maria constituait déjà une énigme depuis ma plus tendre enfance. Car,
contrairement aux autres personnes que je recherchais, aucune photographie ne
la représentait, aucun document ni parole ne permettait d’évoquer son histoire,
elle n’avait pas d’existence au sein de notre famille.
Je suivais à l’époque la trace des membres de ma
famille disparus pendant la guerre avec pour dessein de retrouver : les
actes de naissance, décès, mariage de ceux qui venus s’installer à Paris,
avaient fondé un foyer et misé dans cette ville tous leurs espoirs de vie.
J’orientais mes recherches vers les quartiers de Paris
les plus populaires pour explorer en priorité les services état-civil des
mairies d’arrondissements vers lesquels avaient afflué le plus grand nombre
d’immigrés et où il me semblait que mes proches auraient pu habiter. Peut-être
avais-je retenu des propos à ce sujet, paroles échangées entre les adultes au
cours de conversations auxquelles les enfants n’étaient jamais conviés.
Ainsi, je misais prioritairement sur les :
troisième, quatrième, dixième, onzième, douzième et vingtième arrondissements
de la ville.
Au gré de mes activités, j’explorais les rues de
Paris, m’arrêtant dans l’une ou l’autre de ces mairies de prédilection, pour
retrouver le document qui pourrait contribuer à initier une histoire.
Dans cet objectif et suivant les conseils d’un
officier municipal, j’adressais au procureur de la République au Tribunal de
Grande Instance de Paris, une demande d’autorisation de consulter les registres
d’état civil de moins de cent ans dans les vingt mairies d’arrondissement de
Paris.
La première autorisation, délivrée en date du 3
octobre 1989 et valable six mois, sera renouvelée par la suite à trois reprises
en 1990, 1991 et 1992.
Ce projet se déploya sur de nombreuses années en
raison, d’une part d’une recherche menée à une époque où la numérisation des
fichiers n’existait pas et d’autre part, du fait des délais inhérents à une
démarche douloureuse, régulièrement interrompue par les aléas de mon existence.
Ces autorisations, obtenues sans difficultés,
constituaient à chacune de mes visites un passeport d’entrée. A sa
présentation, les fonctionnaires de mairie me montraient avec plus ou moins
bonne grâce, les étagères sur lesquelles les registres volumineux, de
couverture cartonnée noire et souvent écornée, étaient classés par années ainsi
que la place de la photocopieuse. Ils me laissaient ensuite travailler tranquillement
dans un espace souvent exigu où je pouvais compulser les livres un à un.
La mairie du douzième arrondissement fut l’un de mes
lieux de recherches privilégié. Il était aisé de m’y rendre car je travaillais
à cette époque à l’hôpital Saint-Antoine et dès qu’une opportunité se
présentait, je m’évadais par la sortie de la rue Crozatier. Ainsi, je
rejoignais très vite la rue de Charenton pour me retrouver, après quelques
minutes de marche, au 130 avenue Daumesnil, adresse de la mairie. Je savais de plus que ma sœur était née dans
cet arrondissement à l’hôpital Rothschild et que ce lieu avait initialement
vocation d’accueillir et soigner les patients d’origine juive.
Après plusieurs mois de recherches infructueuses, je
découvris l’acte de naissance de Maria sous le numéro 290, recopié à la
main d’une écriture ronde, il précisait : « L’an mil neuf cent six, le vingt-sept janvier, à trois heures et demi
du soir acte de naissance de Maria Silberstein du sexe féminin, née hier matin
à huit heures, rue de Picpus, 76 : fille de Salomon Silberstein, âgé de
vingt neuf ans, tailleur, et de Anna Schmeiss âgée de vingt-huit ans, ménagère,
mariés, domiciliés rue des Rosiers 22.. .. » Suivi du nom des
signataires de l’acte.
En marge de l’acte, deux ajouts, l’un porte le numéro
2348 - Mariée à Paris troisième
arrondissement le vingt-six février mil neuf cent vingt-cinq avec Rafaël
PODCHLEBNIK et l’autre 335- Décédée à
Drancy (Seine) le vingt-neuf juillet 1942, la suite est illisible.
Ces annotations datent de 1962 et plus précisément du
10/9/1962 inscrit en regard de ces mentions.
Je me suis étonnée qu’elle soit morte à Drancy et en
fut presque soulagée songeant qu’elle avait échappé à l’enfer de la déportation
vers les camps, mais ce soulagement fut de courte durée car je compris un peu
plus tard qu’il s’agissait d’une indication erronée.
Entre sa naissance en 1906 et sa mort en 1942, j’ai
voulu savoir ce qu’avait vécu pendant trente six ans cette parisienne qui fut, durant
quelques années, l’épouse de mon grand-père paternel.
Le temps
Fluide
Ecoule
A l’infini
Une perle de nuit
Etre
dans un autre
Temps
Etre
autre
De
temps en temps
Le 1 novembre 2015
Vernou-sur-Brenne
Le
jeudi 2 juin 2011, jour de l’ascension, je pars à la recherche de
l'endroit où mon père a été caché en Touraine comme aide-jardinier une
partie de la guerre et emporte comme précieux indice, la carte postale
reçue dans mon enfance par le Professeur Robert Debré.
Après un périple à travers la ville et les vignes, accompagnée de mon amie Patricia, je découvre la propriété « Les Madères ».
Malgré
cette venue impromptue qui coïncide avec l’arrivée des propriétaires de
Paris, les portes me sont ouvertes. Un accueil chaleureux et une écoute
attentive me permettent d'évoquer l’histoire de ma famille. L’arrière
arrière-petite-fille du Professeur Debré, au beau visage encadré de
tresses blondes, avec sa spontanéité et curiosité d’enfant, m’a
particulièrement émue.
Peu après cette visite, je lis « L’honneur de
vivre » de Robert Debré qu'il achève en signant : « Les Madères » mars
1974. Cette lecture m’apprend comment il réalisa le sauvetage des
enfants juifs à l’aide d’un réseau de résistance très organisé en les
plaçant dans des familles en Touraine.
Je suis interpellée par cette
phrase qui résonne dans mon histoire : « Tout récemment j’ai reçu la
lettre de la fille d’un de ces enfants devenu père de famille… qui,
évoquant le temps où, gamin, il avait aidé à l’entretien du potager, me
renouvelait, trente ans plus tard, l’expression de sa reconnaissance. Je
me souviens, que pour lui en particulier, la fabrication de fausses
cartes d’identité avait été difficile….. »
Le 6 septembre 2015
Récapitulatifs des recherches, lieux consultés, documents obtenus
Demandes
auprès du Tribunal de Grande Instance de Paris pour l'autorisation de
consulter les registres d'état civil de moins de cent ans dans les vingt
mairies d'arrondissement de Paris :
Première autorisation en date du 3 octobre 1989, renouvelée à trois reprise en 1990, 1991 et 1992.
Demande
désormais possible directement sur le site : http://www.paris.fr/services-et-infos-pratiques/aides-et-demarches/demarches/etat-civil-100.
Service des archives de Paris, 18 boulevard Serrurier 75019 Paris :
Recensements de la ville de Paris
canadp-archivesenligne.paris.fr :
Consultation en ligne des fichiers alphabétiques de l'état civil et des
registres jusqu'en 1902.
Centre de documentation juive contemporaine (CDJC) devenu Mémorial de la Shoah en 2005 : 17 rue Geoffroy L'Asnier 75004 Paris
www.memorialdelashoah.org : musée et centre de documentation juive contemporaine sur l'histoire
de la destruction des Juifs d'Europe
www.memorial-wlc.recette.lbn.fr : encyclopédie multimédia de la Shoah
En
septembre 1989, je découvre le nom de mes grands-parents, de mon
grand-oncle et de plusieurs autres Podchlebnik dans les listes de
convois en partance pour Auschwitz établies par Serge Klarsfeld.
Yad Vashem The Holocaust Martyrs' and Heroes' Remembrance Authority, P.O.B.3477, Jerusalem 9103401 Israel
Consultation des feuilles de témoignage des familles sur leurs proches disparus pendant la deuxième guerre mondiale.
Mairie du Bousquet d’Orb :
Extraits d’état-civil de la famille Podchlebnik venue de Belgique, pas de liens retrouvés.
Ministère des Anciens Combattants :
Fiches d’internement à Drancy, Renseignements sur les non-rentrés »
Fiche
d’internement à Drancy de ma tante Anna Podchlebnik datée du 11 février
1943, libérée le 31 mars 1943 (extrait du fichier Drancy enfant).
Archives de Vienne :
Demande de renseignements sur les camps pour personnes déplacées restée sans réponse.
Direction
des archives de France rattachées au Ministère de la culture et
communication :
Fichiers d’internement individuel et familial de Drancy.
Secrétariat chargé des anciens combattants et des victimes de guerre :
Échanges de courriers en 1991 et 1992 :
Actes de disparition, les titres de « déporté politique », les rectificatifs d’état civil de Maria Silberstein.
Texte de loi du 15 mai 1995 sur les actes et jugements déclaratifs de décès des personnes mortes en déportation.
Arrêté
du 6 février 1992 portant apposition de la mention « mort en
déportation » sur les actes de décès en remplacement de celle « Morts
pour la France ».
Service des naturalisations du Ministère des affaires sociales et de l’intégration :
Un courrier daté du 30 septembre 1992 précise que mon grand-père a été naturalisé Français par Décret du 8 octobre 1936.
Archives de la Préfecture de Police de Paris, 4 rue de la montagne Sainte Geneviève 75005:
Liste relative au recensement effectué dans le 3ème arrondissement de Paris en octobre 1940,
Liste
des personnes venues au commissariat du 3ème arrondissement de Paris
retirer, après émargement, deux insignes juifs ou étoiles jaunes, en
juin 1942, dont le port avait été rendu obligatoire en zone occupée
après promulgation d’une ordonnance allemande les 28/29 mai 1942.
Bordereau
de la rafle du Vélodrome d’Hiver, établi à l’intérieur du camp de
Drancy qui mentionne le montant des sommes confisquées aux internés à
leur arrivée au camp.
ITS, service international de recherches
Grosse Allee 5-9 34444 Bad Arolsen Allemagne
www.its-arolsen.org The International Tracing Service (ITS)
Photocopies des extraits du registre de décès du bureau d’état civil d’Auschwitz.
Archives de Lodz, Archiwum Panstwowe W Lodzi 91-415 Lodz, pl.Wolnosci
Tél. 042 632 02 02 :
Recensement
de Lodz du 14 octobre 1918. Ce document en Allemand et en Polonais
concerne mon arrière-grand-père Abram et les membres de sa famille.
Fiches
de domiciliation établies dans le ghetto de Liztmanstadt signalant les
dates de l‘occupation puis de la libération des appartements.
Service généalogie du Parquet du TGI de Paris, 14 Quai des Orfèvres, 75059 Paris Cedex 01:
Copies intégrales d’actes d’état civil
CIVS Commission d’Indemnisation des Victimes de Spoliations ; 1 rue de la Manutention 75016 Paris
www.civs.gouv.fr, ce
site décrit les principes et le mode de fonctionnement de cette
instance « chargée de la réparation des préjudices résultant des
spoliations intervenues du fait des législations antisémites lors de
l’occupation ».
Étudie les requêtes de spoliation et autorise la consultation des dossiers familiaux archivés.
Archives Nationales de Paris, 60 rue des Franc-bourgeois 75003 Paris :
Dossiers de naturalisation, dossiers déplacés depuis aux archives de Fontainebleau.
Archives de Fontainebleau, 2 rue des Archives 77 300 Fontainebleau Tél. 01 64 31 73 00
www.archivesnationales.culture.gouv.fr : Site des Archives Nationales implantées sur trois sites Paris,
Fontainebleau et Pierrefitte-sur-Seine.
Consultation des dossiers de naturalisation.
Service historique de la Défense, Château de Vincennes, Avenue de Paris 94306 Vincennes Cedex
Le SHD est l'un des trois services d'archives de l’État. Il contrôle,
collecte, classe, conserve, communique au public et valorise les
archives produites par le ministère de la défense et les organismes qui
en relèvent.
Recherches sur le STO.
Archives de l’O.R.T France, Institution juive d'éducation et de formation crée en 1921, 10 villa d’Eylau 75116 Paris http://www.ort.asso.fr/archives-et-histoire.htm
Registre des élèves 1940-1943 avec les dates
d’inscriptions de mon père dans plusieurs classes d’apprentissage de
cette école.
Centre Historique des archives de Caen :
bureau des archives des victimes des conflits contemporains, Rue Neuve
Bourg l’Abbé BP.552014037 Caen Cedex
Documents
sur les centres de rapatriements établis en France au retour des
déportés avec l’organisation des dispositifs de soins.
Fiche médicale de mon père au retour du STO établie au nom de Valentin Pouchubrun.
Liste
des internés juif de Drancy atteints d’oedèmes, proposés pour la
libération et libérés le 4/11/41 sur laquelle figure le nom Salomon
Podkhlebnik, cousin de mon père.
Entretiens avec Jacob
Szmulewicz à Paris, ancien résistant des FTP-MOI du groupe Carmagnole
Liberté, en 2012 sur l’engagement de ce cousin Salomon.
Yahad-in unum, 114 boulevard de Magenta 75010 Paris
http://www.yahadinunum.org : Site de l'association du père Patrick Desbois
Visualisation de témoignages, lecture de documents sur la Shoah par balles en Ukraine notamment.
Archives de Düsseldorf Landesarchiv NRW Abteilung Rheinland, Bezirkregierung Am Bonneshof 35 Düsseldorf
Consultation des dossiers de demande de pension des victimes des persécutions nazies.
Recherches et consultations sur différents sites :
www.ellisisland.org : Site de la Fondation Ellis Island
Recherche des fiches d’enregistrement des passagers au nom de Samuel Schwarz
www.ajpn.org : Site des « Anonymes, Justes et Persécutés durant la période Nazie dans les communes de France. »
www.camp-de-drancy.asso.fr/fr/pp.htm : Site du camp de Drancy
www.ushmm.org : Site de l’United States Holocaust Memorial Museum
http://archives.aphp.fr/ :
site des archives de l’AP-HP
7 rue des minimes 75003 Paris
Copies des registres
de naissance, de décès et d’accompagnement des corps.
Sites de généalogie :
Les interrogations
sur l'histoire de mes parents ont marqué mon enfance et mon adolescence ainsi
qu’une grande partie de ma vie d’adulte.
Mes recherches,
entreprises dans les années 1989, s’étendent sur plus de 20 ans. Elles furent
ponctuées de longues périodes d'interruption avec alternance d'écriture
poétique, de silences, de questions posées par courriers à diverses institutions
françaises et étrangères. Fin 2010, je repris plus intensivement mes démarches
avec le projet de concrétiser l’écriture de cette histoire.
Comme des bouteilles
jetées à la mer, je cherchais sans savoir ce que je cherchais vraiment ;
il y avait des listes de noms qui ne correspondaient qu’à des listes de morts
dont je ne pouvais m’approprier une quelconque histoire, comme une masse
informe sans distinction. Ces listes de morts allaient devenir aussi des listes
de vies.
Petit à petit les
noms retrouvés se sont inscrits dans une histoire comme les maillons d'une
chaîne qui se construit progressivement.
Dans un premier
temps, il y eut les demandes d’autorisation auprès du Tribunal de Grande
Instance de Paris pour consulter les registres d’état civil de moins de cent
ans dans les vingt mairies d’arrondissement.
Ces autorisations,
obtenues sans difficultés, constituaient à chacune de mes visites un passeport
d’entrée. A leur présentation, les fonctionnaires de mairie me montraient avec
plus ou moins bonne grâce, les étagères sur lesquelles les livres volumineux,
de couverture cartonnée noire et souvent écornée, étaient classés par années,
la place de la photocopieuse et me laissaient ensuite travailler tranquillement
dans un espace souvent exigu où je pouvais les compulser un à un.
Je passais ainsi de
longues heures dans les services des mairies, décryptant page à page des
écritures encore souvent manuscrites, parfois difficilement lisibles, en quête
d’un passé qui me faisait cruellement défaut.
C’est ainsi que je
retrouvais les extraits de naissance, mariage, décès de plusieurs
membres de ma famille.
Je me rendis pour la
première fois en septembre 1989 au centre de documentation juive
contemporaine (CDJC), devenu mémorial de la Shoah, où je découvris, sur les
listes des convois établis par Serge Klarsfeld, les noms de mes proches.
Je me revois lisant
les noms de mes grands-parents et de mon grand-oncle sur les listes classées par date de départ des
convois vers Auschwitz et le choc douloureux qui m’avait littéralement tétanisé
devant cette réalité qui jusque là ne représentait qu’une histoire un peu
abstraite bien que toujours insidieusement présente.
La bibliothécaire,
une femme assez âgée, au fort accent yiddish, qui avait cherché les documents,
m’avait alors consolé et j’étais rentrée chez moi avec ces noms gravés dans ma
mémoire et un sentiment mêlé de désespoir, de rage et d’impuissance.
Par la suite, revenant à plusieurs reprises au Mémorial, j'ai pu discuter avec des chercheurs en histoire venus
de tous horizons et ces échanges finirent par donner une intensité un peu moins
dramatique à cet événement familial intolérable en le replaçant dans le
contexte plus général de la « grande histoire ».
Le 31 août 2015
A la lecture du roman de Patrick Modiano, Dora Bruder, une forte émotion s'empara de moi au fur et à mesure de mon avancée dans le récit.
Les dates et les lieux décrits
résonnaient comme un miroir révélateur de mon histoire familiale.
Ce fut la date de naissance de Dora, le
25 février 1926 à Paris qui retint tout d’abord mon attention car elle correspondait,
à une semaine près, à celle de mon père né le 18 février 1926 à Paris également.
Puis, l’indication du lieu de naissance, 15
rue de Santerre, m’interpela car je me souvenais avoir lu cette même adresse
sur les actes de plusieurs membres de ma famille paternelle.
Deux adolescences tourmentées se
superposaient. Celle de mon père qui avait du se cacher pour échapper aux
rafles et à la déportation et celle de Dora fugueuse dans cette même période de
guerre à l’âge supposé de l’insouciance et de tous les possibles.
J’ai étudié plus précisément les actes
d’état civil rassemblés au cours du temps dans un classeur noir.
Pour les obtenir, je ne m’étais m’étais
pas rendue au Palais de justice de Paris, comme le décrit P.M. dans son livre. Un
courrier reçu du procureur de la République m’autorisait la consultation des
registres d’état civil dans les vingt mairies de Paris.
J’avais ainsi trouvé l’acte de ma
grand-mère paternelle, Maria, à la mairie du 12ème arrondissement :
« L’an mil neuf cent six, le vingt-sept janvier, à trois heures et demi
du soir acte de naissance de Maria Silberstein du sexe féminin, née hier matin
à huit heures, rue de Picpus, 76 : fille de Salomon Silberstein, âgé de
vingt neuf ans, tailleur, et de Anna Schmeiss âgée de vingt-huit ans, ménagère,
mariés, domiciliés rue des Rosiers 22.. .. » Suivi du nom des
signataires de l’acte.
En marge de l’acte, deux ajouts
numérotés, l’un 2348 - Mariée à Paris
troisième arrondissement le vingt-six février mil neuf cent vingt-cinq avec
Rafaël Podchlebnik et l’autre 335- Décédée
à Drancy (Seine) le vingt-neuf juillet 1942, la suite est illisible.
Ces annotations datent de 1962 et plus
précisément du 10 septembre 1962.
Je m’étais étonnée qu’elle soit morte à
Drancy et en avait été presque soulagée songeant qu’elle avait échappé à
l’enfer de la déportation vers les camps, mais cette indication s’avéra par la
suite être erronée.
La lecture de Dora Bruder, m’apprit que
ce lieu de naissance 76 rue de Picpus était l’hospice de Rothschild, crée pour
les vieillards et les juifs indigents. Le 15 rue de Santerre, situé à
proximité, désignait l’accès à l’hôpital Rotschild.
C’est ainsi que bien tardivement au regard
de mes recherches initiales, je pris conscience d’une évidence qui jamais jusque-là
ne m’avait effleurée, les adresses de naissance ou de décès inscrites sur les
actes d’état civil pouvaient aussi être des adresses d’hôpitaux !
Cela me permit de faire d’autres liens. L’adresse
de naissance de mon père au 40 rue Bichat correspondait à l’hôpital Saint Louis.
Étonnamment, j’avais passé plusieurs années
comme étudiante en médecine et employée d’été dans cet hôpital, privilégiant ce
lieu de stage en raison de sa proximité avec mon domicile. Je n’avais alors pas
conscience que mon père était né là, il ne m’en avait sans doute jamais parlé
ou alors cette coïncidence ne m’avait pas marquée ou ne m’intéressait pas à cette
époque.
L’adresse de naissance du demi-frère de
mon père, Marcel était l’hôpital Saint Antoine.
L’hôpital Trousseau avait été le lieu de
décès de Marcel et l’hôpital Tenon celui de mon arrière grand-père Salomon
Silberstein. Salomon, né à Varsovie en Pologne en 1876, était le père de ma
grand-mère Maria, mère de mon père.
Je pris alors contact avec les archives
de l’AP-HP qui mettent à disposition les copies des registres de naissance, de
décès et d’accompagnement des corps. http://archives.aphp.fr/
Les informations suivantes me furent
envoyées : Salomon Silberstein, entré à Tenon le 26 juin 1925, à l’âge de 49
ans, mourut le jour même d’un collapsus
cardiaque ; Marcel Podchlebnik, entré
à l’hôpital Trousseau le 27 février 1946 mourut ce jour là, la cause du décès
est « inconnue ». Non seulement inconnue mais restée obscure avec
deux versions différentes, la thèse de la maladie ou celle de l’accident de
voie publique.
Maria, devint
orpheline de son père alors qu’elle était enceinte de mon père ce qui explique pourquoi
il reçut le même prénom que son grand-père, Salomon.
Archives nationales de Lodz
Il y a quelques années, allant acheter des médicaments à la pharmacie de mon quartier, je fis la connaissance d’une femme avec qui j’allais nouer des liens précieux.
Examinant l’ordonnance que je lui tendis elle prononça mon nom avec un accent slave d’une façon tellement inhabituelle par sa perfection que je ne manquais pas de m’en étonner et de m’en réjouir tout en lui demandant de quel lieu elle était originaire. Ainsi, j’appris que cette femme chaleureuse venait de Galicie en Pologne et que le train qui la conduisait le matin à l’école s’arrêtait en gare de Rozwadow, ville de naissance de ma mère.
Par cette rencontre, je nouais un nouveau lien avec mes origines.
Nous eûmes par la suite de nombreux échanges sur l’histoire des juifs de Pologne dont elle ignorait la réalité de toutes les persécutions. Des années de communisme avaient édulcoré l’histoire et son enseignement.
Elle fut une aide précieuse pour la recherche et la traduction des documents reçus des archives de Lodz fin 2011.
Les documents relatifs à ma famille paternelle, comportaient le recensement de la ville de Lodz de 1918 et les états d'occupation et de libération de leur appartement à l’époque du ghetto.
(Archives nationales de
Lodz)
Marié à Hanna Katz, il avait eu 4 enfants nés à Uniejow et Vilna, dont une fille Dora décédée en bas âge.
Il s’était installé à Lodz au début du siècle dernier, avec sa femme, leurs deux fils Joseph et Rafaël et leur fille Rywka, pour s’établir comme tailleur dans cette ville au développement industriel textile florissant.
Ils habitèrent une rue qui changea plusieurs fois de nom au cours du temps et des évènements politiques.
Le recensement de la ville de Lodz de 1918, la désigne comme rue Aleksandowska.
Elle sera Ulica Zydowska (rue aux juifs) lors des demandes successives de naturalisation faites en France par mon grand-père Rafaël qui quitta la Pologne avec son frère Joseph en 1920. A l’époque du ghetto de Liztmannstadt, cette rue fut rebaptisée Cranach Strasse par les allemands qui gardaient leur âme artistique en toutes circonstances et dès la fin de la guerre en 1945 elle deviendra la rue des combattants du ghetto de Varsovie ou Bojownikow Getta Warszawskiego. L’arrière-grand-père dont j’ignorais tout jusqu’à récemment habitait l’appartement 32 du 13 Cranach Strasse à Lodz où il vécut jusqu’à l’âge de 73 ans.
Bien sûr il me sera difficile de ne pas penser à la souffrance qu’il connut dans les terribles conditions de survie du ghetto et probablement dans sa longue vie de labeur, mais il connut aussi une vie de mouvance, de travail et de quotidien avec tous ses aléas.
Fiches de
résidence des habitants du ghetto de Lodz
(Archives nationales
de Lodz : actes de l'association des anciens juifs du ghetto)
RépondreSupprimerJe suis tellement ému de lire la description de votre voyage, et long de ce voyage avec vous
Vous envoyer mon amour de Varsovie,
votre cher ami et compagnon de voyage,
Marla
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
RépondreSupprimerJe me sens si proche de votre parcours, chère Mireille! Nous nous sommes rencontrées grâce à notre ami commun Rüdiger Fischer, trop tôt disparu, et voilà que nous nous retrouvons autour d'un même centre d'intérêt: le destin de familles juives polonaises dans ce XXème siècle terrible. Robert Debré a-t-il été reconnu Juste parmi les nations? A très vite, au plaisir de vous revoir à Paris. Yaël Armanet, Israël.
RépondreSupprimerMerci Yaël, je découvre ce message après notre rencontre qui confirme que nous avons tant à partager...
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