Les journées APA
Les journées de l'association pour l'autobiographie et le patrimoine autobiographique se sont déroulées le week-end dernier à Ambérieu-en-Bugey. Il faisait beau et l'ambiance était sympathique et chaleureuse.
Le dimanche matin, lors d'une table ronde animée par Gérald Cahen sur le thème : Archives familiales et recherche, je présentais mon enquête sans fin. Mon intervention faisait suite à celle sur un tout autre sujet, les enfants assistés du Morvan, recherches de Marie-Laure Las Vergnas que j'avais eu l'occasion de rencontrer lors d'une précédente intervention à l'APA sur le thème des transmissions en 2019. Dominique Larzul-Martre clôturait avec ses propres recherches sur les conserveries familiales bretonnes. Trois sujets ancrés dans des domaines très différents mais cette diversité n'en était que plus interessante.....
Je reprends ici le résumé mon intervention ainsi que quelques-unes des photos venues l'illustrer, les détails de mes recherches ont été repris dans des articles précédents de ce blog :
J'ai commencé en relatant l'origine de la demande de citoyenneté autrichienne débattue avec mes fils en fin d'année 2023.
"Un amendement de septembre 2020 à la loi autrichienne sur la citoyenneté « permet aux descendants des victimes du régime nazi qui avaient des liens avec la monarchie austro-hongroise d’obtenir la nationalité ».
Mes archives familiales ont facilité la demande et ma nouvelle citoyenneté remise en février dernier à l’ambassade d’Autriche a été complétée par un passeport .
Comme un écho aux demandes de naturalisations de mes ancêtres.
L’origine du travail de recherche
Mes parents, rescapés de la Shoah, parlaient peu de leur histoire.
Ces silences et l’ombre des absents ont forgé les fantômes de mon enfance et depuis mon plus jeune âge je suis allée à leur rencontre.
Je mène toujours cette quête pour rassembler les morceaux épars de la mémoire familiale et recoudre les tissus déchirés à la manière dont mes parents, tailleurs pour femmes, rassemblaient les pièces de tissu pour créer de beaux vêtements !
Certaines périodes se sont révélées propices aux recherches comme le décès de mes parents ou la naissance de mes enfants.
Après la mort de mes parents, j’ai récupéré courriers, documents, photos déposés en vrac dans des boites en métal et leur matériel de couture.
Un ensemble réduit à peu de chose mais d’une valeur considérable, dont j’ai pris la mesure progressivement, les photographiant et les relisant parfois à des années d’intervalles pour découvrir un détail fondamental ignoré jusque-là.
Ma quête a débuté à l’âge de 13 ans en écrivant au Pr Debré qui avait sauvé mon père pendant la guerre lui procurant de faux papiers d’identité et le cachant dans sa propriété à Vernou-sur-Brenne comme aide-jardinier, de cela je le remerciais et reçus en retour une lettre puis une carte postale précieusement conservés.
Actuellement, je cherche à comprendre la trajectoire de mon père depuis le départ de chez lui en mars 1943 suite à l’arrestation de sa sœur Anna, sa prise en charge par des réseaux de résistance, son arrestation à Avignon et son départ au STO en Autriche.
Aux archives de Caen, j’ai trouvé sa carte de rapatriement sanitaire au nom de ses faux papiers d’identité, Valentin Pouchubrun, né à Amiens. Entendu dans mon enfance, ce nom est devenu réalité.
En 2023, aux archives de Linz, j’ai découvert le nom des camps qu’il traversa.
Un autre élément fondateur de mes recherches a été la diffusion télévisée de Shoah de Claude Lanzman. Le témoignage d’un survivant de Chelmno, Mordéchaï Podchlebnik, et sa ressemblance avec mon père nous avait interpellé. Je travaillais alors à la SNCF, ce milieu me déplaisait et les trains de la mort m’ont envahie et conduit chez un psychanalyste.
Les différents lieux de recherches
Le centre de documentation juive contemporaine au Mémorial des la Shoah fut mon premier lieu de recherches avec la découverte des noms de mes proches inscrits sur les listes des convois en partance pour Auschwitz.
Mes recherches ont d’abord concerné ma famille paternelle car la naissance à Paris de mon père et de sa mère, facilitait l’accès à certains documents : actes d’état civil, dossiers de naturalisation, recensements, archives de la préfecture de police, de l’AP-HP etc.
L’histoire et les archives maternelles
Du côté de ma mère, née en Pologne en Galicie, ex Empire austro-hongrois, les recherches sont plus complexes.
Ma mère a quitté la Pologne peu après son invasion par l’Allemagne en septembre 1939, pour se réfugier en Ukraine à Kremenets, ville d’origine de son père. Avant la rupture du Pacte germano-soviétique, refusant de prendre la nationalité russe, une partie de la famille est déportée en Sibérie à Asino, un camp de travail forcé.
A la sortie du camp, mon grand-père Samuel meurt d’épuisement dans la gare de Tomsk.
La famille est déportée au Kazakhstan jusqu’à la fin de la guerre. Leur retour en Pologne à Tarnow prendra plusieurs mois.
En 1946, ma grand-mère écrit à son neveu un courrier qui témoigne du destin tragique de la famille.
Sans avenir en Pologne, la famille aidée par un comité de secours américain, ira en Autriche à Linz dans un camp pour personnes déplacées attendant 4 ans un pays d’accueil.
Ma mère et sa mère envisagent d’émigrer aux USA où un cousin de New York, Sydney Gordon, se porte garant en complétant les documents de leur immigration. Ce projet échoue en raison des quotas imposés par les Etats-Unis.
Récemment, j’ai cherché les descendants de Sydney, en particulier son fils Malcolm dont l’anniversaire des 3 ans est annoncée dans un courrier.
Au divorce de ses parents, élevé par sa grand-mère, il sera placé en institution à la mort de cette dernière. Devenu peintre, ses dessins de gare sont exposées au New York Coliseum. Puis rédacteur du Tonight Boxing Programm and Weekly Newsletter sous le nom de « Flash Gordon », entre 1960 et 1980 il distribue son journal au Madison Garden lors des combats de boxe, dénonçant ce milieu corrompu. Il meurt solitaire dans le Queens en 2017, je retrouve sa trace en 2020 seulement.
L’utilisation des archives
L’art est un moyen d’expression qui favorise la transmission
Parallèlement aux recherches, la poésie s’impose avec un premier recueil : Au pays de l’exil. D’autres, ancrés dans la mémoire familiale, suivront : Tailleurs pour femmes, Passeurs de sens etc.
Mes archives ont été supports d’expositions réalisées avec des amies artistes plasticiennes.
Au musée mémoire du camp du Récébédou à Portet-sur-Garonne, la photo de l’atelier de menuiserie de mon grand-père à Tarnow en 1936 et le matériel de couture ont inspiré peintures, livre d’artiste et cartes poétiques.
A Sanary-sur-Mer en 2018, l’exposition Exil et transmission, a mis en valeur les archives familiales.
Actuellement, je crée des arbres de métal qui signent l’ancrage dans la vie, la résistance et le tissage entre les générations.
« Je m’absous dans l’instant
et dans une prière aux vivants
je réinvente les mots
Mots fragiles et incertains
Mots d’espoir
À la croisée de nos chemins »
Le mémorial de la Shoah et l’APA sont dépositaires de mes archives et récits en prose ou en poésie."
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