Marcel Podchlebnik une vie trop brève

Parfois le hasard du quotidien remet au premier plan d'anciennes pistes de recherches et une histoire qui s'était partiellement effacée reprend son cours. Aujourd'hui je souhaite évoquer Marcel, le demi-frère de mon père malgré le peu d’éléments à ma disposition le concernant, pas même une photo ...

                                                                      
Mon grand-père Raphaël se retrouve seul avec trois enfants à élever suite au son divorce avec ma grand-mère Maria dans les années trente. Voulant reconstituer un foyer brisé, il décide de se remarier avec une cousine arrivée depuis peu de Lodz, Rochme Fajge, par chance encore célibataire et heureuse de retrouver son amour de jeunesse et pouvoir réaliser ses rêves de vie parisienne.

Le destin tragique qu'elle traversera mettra fin à toutes ses espérances.

La cérémonie a lieu à la mairie du 11ème arrondissement le 25 juin 1938 à 10h30 du matin. Le temps était exceptionnellement beau et chaud pour la saison ce jour-là, contrastant avec la vague de froid et de neige abondante qui allaient envahir la capitale quelques mois plus tard.

Mon père avait conservé une belle photo de ce remariage auquel j’imagine, enfant il assista, il avait alors 12 ans.. 

                                                                                    Raphaël et Rochme

Sur ce portait réalisé chez le photographe L.Goulley au 59, rue de la Roquette, les nouveaux époux posent, souriants. Dans un environnement de fleurs et de voiles, la robe de la mariée a des prolongements infinis. Une légère inquiétude semble troubler le regard de Raphaël mais ne serait-ce pas la mienne qui transparait imprégnée de sa triste destinée ?

Six mois plus tard, le 8 décembre 1938, leur premier enfant, Marcel voit le jour. Leur second fils, Jean naîtra deux ans plus tard, le 15 décembre 1940.

Une famille est ainsi nouvellement constituée avec ses aléas et son quotidien. Mais le temps dévolu à cette vie familiale sera bref.

Rafaël est arrêté lors de la rafle du 20 août 1941 concernant les juifs du 11ème arrondissement. Rochme qui parle à peine le français, se retrouve seule avec ses deux enfants en bas âge et les trois enfants du premier mariage de son époux. Étrangère en pays hostile, éloignée de ses proches, elle court le risque d’être également arrêtée et sera cachée avec Marcel, Jean et Jacqueline peu après l'arrestation de Anna le 11 février 1943. Ce jour marquera le départ de mon père vers la clandestinité avec l'aide du directeur de l'ORT (Organisme Reconstruction Travail) une école rue des Saules dans laquelle il suivait une formation de mécanicien. 

https://fr.wikipedia.org/wiki/Organisation_reconstruction_travail#:~:text=Historiquement%2C%20l'ORT%20est%20liée,état%20d'Israël%20fût%20créé.

Le directeur de cet établissement, lié au réseau de résistance du Pasteur Paul Vergara dans lequel était aussi impliqué le Pr Robert Debré, déclencha le sauvetage de toute la famille.

Après la guerre, Rochme rentre chez elle avec ses deux jeunes fils dont elle a été possiblement séparée durant ces deux années, du moins pour le plus grand. Elle doit alors effectuer des démarches prouvant la perte de son époux déporté à Auschwitz pour pouvoir obtenir  l'aide nécessaire à sa subsistance. 

Elle vit très difficilement cette période lorsqu'un nouveau drame survient. Marcel meurt brutalement le 27 février 1946 à l'âge de 7 ans avec des versions divergentes sur les causes de son décès : crise d'épilepsie selon mon père et Jean ou accidenté par un véhicule selon une note trouvée dans un rapport de l'OSE (Oeuvre de Secours aux Enfants). 

Le certificat de décès obtenu aux archives de l'AP-HP indique simplement sa mort à l'arrivée à l'hôpital Trousseau sans plus de précisions..

Ayant eu connaissance du lieu de son enterrement au cimetière de Bagneux, j'avais avec difficulté retrouvé sa sépulture il y a quelques années alors qu'avec mon cousin Sacha nous nous trouvions sur place pour l'enterrement d'un de nos oncles. 

La dalle était très abimée, son nom à peine visible et j'avais été déçue de ne pas trouver de médaillon à son effigie. Quelque temps plus tard, il y plus de dix ans déjà, j'étais retournée sur les lieux avec une amie pour brosser la dalle afin que son nom apparaisse davantage! Mais en allant le mois dernier à Bagneux, j'ai vu à nouveau sa tombe à l'abandon, envahie par la mousse, le nom totalement effacé.

Souhaitant la faire restaurer ainsi que son frère Jean vivant aux Etats-Unis, j'ai cherché le gestionnaire de la concession, une association aujourd'hui disparue "Vérité et grâce" (en référence à un verset biblique). Une autre société israélite que j'ai pu contacter a repris le suivi et une entreprise assurera prochainement le nettoyage de la dalle et le rechampissage du nom.

N'était-il pas nécessaire de redonner un peu de présence à la courte existence d'un enfant qui aurait pu devenir mon oncle? Mais n'est-il pas illusoire de vouloir préserver les traces des disparus sachant qu'elles ne résisteront pas à l'usure du temps et l'effacement inéluctable?

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