Ecrire et publier mon histoire et celle de ma famille : présentation au Mémorial de la Shoah

Fil écriture, tissage d'une histoire

 

Si l'écriture me taraude depuis longtemps, elle suit toujours un chemin aléatoire avec des périodes plus ou moins prolifiques, rythmée par les événements de mon existence...

L'histoire de ma famille et la mienne s'écrit et se réécrit en permanence et cette écriture prend diverses formes. Elle est indissociable de mes recherches.

1- Les racines de l'écriture et des recherches

Le milieu familial : emprunt d'étrangeté avec le sentiment de n’avoir aucune appartenance, de venir de nulle part. Mes parents semblaient inaccessibles, ailleurs. Mon père enfant caché parlait peu de son histoire, ma mère quant à elle évoquait les épisodes les plus tragiques : la fuite de Pologne, l'Ukraine puis la Sibérie à la rupture du pacte germano soviétique, l'Asie Centrale, le retour en Pologne, le camp pour personnes déplacées et l'arrivée en France en 1951....une longue errance, ses nuits étaient peuplées de cauchemars et les miennes étaient troublées.

Je percevais leur histoire douloureuse sans pouvoir en démêler les fils. Qui étaient ces oncles et tantes aux noms imprononçables, disparus en Pologne et en Ukraine ? Comment mon père avait-il survécu à la guerre alors que ses parents avaient été déportés et qui étaient ses parents ? D’où venaient ces membres de la famille qui parlaient entre eux des langues étranges et incompréhensibles pour moi, et quel lien existait-il entre eux et moi? Pourquoi ma famille était-elle si différente de celle de mes camarades d'école ? Pourquoi mes tantes paternelles avaient-elles épousé des vietnamiens et imposé le silence absolu sur leurs origines juives ?

Ces questions m'ont hantée depuis mon plus jeune âge.

A l'âge de 13 ans j'ai commencé à tenir un journal pendant, cela dura à peine 2 ans. Je présentais mes parents, photos à l'appui, racontais mon quotidien : le lycée, les copines, ma sœur, mes parents et leur travail dans l'atelier qui occupait une place centrale de notre appartement.

L'atelier, qui revient en boucle dans mes écrits a été le théâtre de mon enfance.

A cette époque j'écrivis au Pr Robert Debré pour lui demander s'il se souvenait de mon père. Ce pédiatre lui avait sauvé la vie pendant la guerre en lui fournissant de faux papiers et en le cachant comme aide-jardinier en Touraine à Vernou-sur-Brenne. Il m'écrivit une lettre puis une carte postale de sa propriété et du jardin....en transmettant son bon souvenir à mon père qui ne lui a jamais répondu !

Je suis retournée il y a une dizaine d'années sur ces lieux et j'ai pu raconter l'histoire de mon père aux descendants du professeur.

 


Etait-ce le premier jalon posé pour un travail d'écriture et de recherches qui allait occuper une bonne partie de ma vie ? Est-ce pour cela que je suis devenue médecin ?

2- Les événements déclenchants

Pendant mes études de médecine, je côtoyais des milieux non juifs, mon histoire restait enfouie.

Partie exercer en Guyane je suis revenue en métropole en 1987 pour travailler à la SNCF. A cette période a été diffusée le film Shoah de Lanzmann dans lequel témoignait Mordechai Podchlebnik, les traits de son visage ressemblaient à ceux de mon père. Dans un contexte professionnel qui me déplaisait, cette période de l'histoire m'est revenue comme un boomerang, les trains de la mort ont envahi mon espace.

L'année suivante la rencontre avec un psychanalyste marquera le début d'un long travail de recherches qui me permettra de connaître et construire mon histoire. Mes recherches se poursuivent toujours et me révèlent sans cesse de nouveaux éléments.

L'un des tous premiers lieux de mes recherches a été le CDJC (centre de documentation juive contemporaine à l'origine du Mémorial de la Shoah). Une dame au fort accent yiddish m'a sorti les registres dans lesquels j'ai découvert le nom de mes grands-parents dans les listes de convois en partance pour Auschwitz, elle avait dû alors me réconforter...

J'ai consulté de nombreuses archives en Allemagne, en Israël à Yad Vashem et surtout en France, j'ai passé des heures dans les bibliothèques et envoyé des centaines de lettres à différents organismes dont l'ITS à Bad Arolsen etc.... Il y a eu les archives nationales, départementales, celles de la Préfecture de police de Paris et tant d'autres, avant et après leurs successifs déménagements, et tout dernièrement celles de l'OFPRA avec la révélation d'une cousine polonaise cachée dans un couvent...ma grand-mère paternelle, jeune orpheline élevée en Pologne jusqu'en 1920...

J'ai tissé dans ma mémoire

une étoile imaginaire

Brodée de mille fils

qui dansent

Dans des copeaux de rêves

Dans des copeaux de ciel

3- Pourquoi écrire ? Pourquoi la poésie ?

L’écriture m’a permis de supporter les histoires sombres qui devenaient réalité au fur et à mesure de la découverte de documents officiels. Elle m'aidait à prendre une certaine distance pour ne pas être submergée par l'émotion..

Elle s'accordait à la nécessité de transmettre.

Le besoin de transmission s’est accentué à la mort de mes parents, à la naissance de mes enfants. Je voulais qu’ils connaissent leurs origines et disposent d’un socle plus solide que le mien.

L'écriture est devenue lien entre les lieux, les documents et les absents dont on avait voulu effacer la trace. Elle leur a donné vie en prenant diverses formes d’expressions : poèmes, récit poétique et histoires de vies.

La poésie a été le début d’un souffle entre ce qui a été tu et ce qui a pris vie.. Peu de mots pour dire l'essentiel sans trop se dévoiler..

La poésie traverse les rivages

Comme une larme sur la grève

Traçant les rêves des étoiles

Après la mort de ma mère, paraît en 1996 mon premier recueil de poésie « Au pays de l’exil ». Il retrace une enfance parisienne, l'atelier de couture de mes parents marqués par la Shoah, et le destin de leurs proches. Mon grand-père Samuel mort en Sibérie prend place dans son atelier d'ébéniste. Quelques poèmes ont été traduits en yiddish par Nadia Grobman.


Après la mort de mon père en 2005, j’ai voulu apprendre le yiddish dont j’avais été dépossédée tant le désir d’intégration de mes parents, pour ma sœur et moi, avait été fort. En 2007, le recueil "Passeur de sens" sera publié en français, yiddish et allemand par l'éditeur allemand, Rüdiger Fischer qui fut un véritable passeur. Dans la forêt bavaroise où il vivait, il dirigea sa maison d'édition Verlag im Wald jusqu'à sa mort en 2013. Il assura la traduction en allemand de mes textes et me fit visiter la Bavière et la plus haute synagogue de république tchèque, située à Hartmanice qui venait de rouvrir en 2006 fermée depuis 1938. Je garde le souvenir de rencontres chaleureuses et inattendues.... 

4- L'ouverture vers les autres et la transmission

En 2011 puis en 2016, j’ai transmis 3 récits familiaux à l’APA (Association pour l'autobiographie cofondée par l'universitaire Philippe Lejeune) : des récits écrits et réécrits au fil de mes découvertes.

Le premier Histoires de famille a été suivi de Tsourès qui comporte des repères historiques pour comprendre le destin de mes proches durant la guerre et qui présente photos et documents d'archives. Le troisième Balade poétique au pays de mes ancêtres s'attache plus précisément à la vie de mon grand-père maternel et de ma grand-mère paternelle. Tsourès a été mis à disposition à la médiathèque de Villeurbanne dans le cadre du prête mémoire de l'association pour l'autobiographie APA : http://autobiographie.sitapa.org/

Tailleurs pour femmes paru en 2014 chez La Porte, est un petit fascicule dont je suis assez fière ; d'une part parce que le texte a tout de suite plu à Yves Perrine qui l'a publié en un temps express et d'autre part parce que Martin Winckler, l'ayant apprécié, le diffusa en un clic sur son blog http://wincklersblog.blogspot.fr/. Ce texte est un regard sur mon enfance dans l'atelier de mes parents. Je le lis souvent avec plaisir, seule ou accompagnée par des voix amicales lors de présentations poétiques ou d'expositions.


D'autres recueils ont vu le jour souvent portés par les thèmes de la mémoire, de l'exil et la transmission...et aussi des voyages ..

Mes écrits sont publiés dans diverses revues, sites de poésie, blogs littéraires....

Dans un colloque ayant pour thème Les transmissions organisé par l'APA en juin 2019, j'expose l'histoire de ma famille pendant la guerre.

Le désir de transmettre en associant écriture et arts plastiques a permis de créer des livres d'artistes, cartes poétiques... et de réaliser plusieurs expositions avec des amies sensibilisées aux questions d'exil et de transmission :

Au musée de la mémoire (camp du Récébédou) à Portet-sur-Garonne proche de Toulouse en 2016.

A Fondamente dans l'Aveyron, sur le thème « La fabrique de la mémoire » en 2016.

A Sanary-sur-Mer avec mon amie Sophie-Hassoun Beghin, notre exposition en 2018 associe nos histoires personnelles à celles des exilés allemands et autrichiens qui ont fui le nazisme dans les années trente pour trouver refuge dans cette ville. La préparation de cette exposition, qui fut un grand moment d'émotion, a été l'occasion de précieuses rencontres. Elle a permis de diffuser et révéler à un large public une histoire méconnue pour la plupart. Le livre de l'exposition est né un an plus tard...

Et le projet de le présenter au printemps des poètes avec accompagnement musical par le groupe Klezmer marseillais « Les Oreilles d'Aman » a malheureusement échoué 2 ans de suite en raison de la pandémie.

5- Conclusion

Je n'appartiens à aucun milieu, je construis une histoire qui m'a été volée, j'en rassemble les morceaux épars, je tisse et je couds mes récits à petits points, je bâtis ma vie en solitaire.

L'écriture et les recherches sont les piliers de mon existence.

Mon activité professionnelle est un monde à part, distinct de ma vie personnelle mais les deux se mêlent peut-être parfois...

Si les recherches m'ont confirmé l'histoire tragique de mes proches dont pour certains je ne retrouverai jamais la trace, elles m'ont ouvert aussi d'autres horizons. Vers les rencontres, vers l'amitié, vers la connaissance, vers la création....

Bientôt dépassée par la somme de documents d'archives que j'ai recueillis et que je découvre encore, j'ai décidé de créer un blog pour une diffusion plus large de mon travail. Intitulé Balade poétique au pays de mes ancêtres, il a pour thème principal les recherches historiques et généalogiques sur une famille marquée par la guerre et la Shoah. Récits en poésie de cette quête familiale. Il prend le nom de Jasmine Schwarz mon deuxième prénom et le nom de mon grand-père Samuel, le menuisier-ébéniste. Un des métiers du bois vers lesquels mes fils se sont orienté....

Couture

Fil écriture

comme une bobine

se déroule

à petits points

serrés

sur tissus et doublures

à mots mesurés

sur une page

feuillets envolés

Souvenirs

 

Mireille Podchlebnik le 3 Juillet 2022

Commentaires

  1. Mireille, je me suis plongée dans ton récit si émouvant de ta vie et l‘histoire de ta famille.
    Tu as accompli un travail énorme et je voulais te féliciter pour ça !
    Tu es une amie précieuse et je remercie le destin pour te croiser sur mon chemin…..

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  2. Comme d’habitude, beau et bouleversant à la fois… merci Mireille

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