Maria Silberstein : une autre histoire
De ma grand-mère Maria Silberstein, je ne connaissais pratiquement rien et longtemps j'ai cherché à mettre un visage sur ce nom et espéré croiser son regard.
Divorcée de mon grand-père quelques années après son mariage et la naissance de ses trois enfants, elle était une des grandes absentes du récit familial. Raflée au Vel d'Hiv puis déportée à Auschwitz en juillet 1942, elle aurait pu sombrer définitivement dans l'oubli sans ma pugnacité.
Car je voulais la connaître, lui donner vie et pour résoudre cette énigme, j'ai suivi sa trace au prix de fastidieuses recherches en exhumant au fil des ans maints documents officiels la concernant.
Mairies et archives de diverses institutions m'ont procuré les informations relatives à sa naissance à Paris en 1906, à son mariage à l'âge de 19 ans, à la naissance de ses trois enfants, à son divorce en 1935 et à son arrestation puis sa déportation.
Malgré sa fin tragique, je l'avais imaginée vivre une jeunesse insouciante, allant à l'école de la République dans le quartier yiddishisant du Marais où étaient domiciliés ses parents 22 rue des rosiers. Elle avait dû partager des secrets avec ses camarades, jouer dans les rues comme le faisaient les enfants, puis entreprendre un apprentissage de couturière dans l'atelier qui employait déjà son père comme ouvrier tailleur, elle pouvait aussi être coquette, enjouée et séductrice, pourquoi pas !
Je n'avais cependant jamais retrouvé la trace de sa mère Anna Schmeiss, décédée au jour du mariage de Maria, ce qui m'avait intriguée.
De plus, j'avais négligé un détail majeur, la première guerre mondiale dont elle fut témoin de l'âge de 8 à 12 ans, n'avait certainement pas épargné son environnement ni dû lui procurer l'enfance aussi insouciante que j'aimais envisager.
Mais je m'étais trompée encore bien davantage sur elle car alors que je l'imaginais devenir une vraie parisienne, elle se trouvait à Varsovie.
Un tournant récent dans mes recherches m'oblige désormais à reconstruire l'histoire qu'à tort je m'étais forgée et repartir sur d'autres pistes pour espérer obtenir au moins un jour une photo d'elle.
Récemment, une aide précieuse émanant des Archives Nationales, m'a adressé le dossier 5596 du service central des passeports concernant Salomon, Anna et Maria.
Le dossier, établi suite à une demande de Salomon en 1920, apporte de nouveaux éléments.
Salomon arrive en France en 1905 avec sa femme Anna, il est « sujet russe » mais revendique la nationalité polonaise (grande constante familiale de vouloir échapper à la nationalité de l'envahisseur multirécidiviste!). Maria nait l'année suivante et Anna en 1909 décide sans doute (ou pas), de retourner en Pologne pour présenter sa jeune enfant à ses parents restés au pays.
Un courrier de Salomon relate la mort de son épouse Anna à Varsovie un an plus tard en 1910, sans en préciser la cause. Maria reste alors en Pologne avec ses grands-parents, la guerre éclate et Salomon n'a plus de nouvelles de sa fille. Elle lui écrit à l'âge de 14 ans, l'implorant de la faire revenir en France car à la mort de ses grands-parents, recueillie par une voisine, elle vit dans une grande misère. La demande de passeport de Salomon fait suite à celle qu'il reçoit de sa fille.
Je remarque ici la similitude avec le dossier de ma famille maternelle retrouvé à l'OFPRA l'an dernier dans lequel mon oncle Yosek demande un visa pour repartir en Pologne chercher une de ses nièces ayant survécu à la Shoah cachée dans un couvent mais qui, élevée dans la religion catholique, n'aurait pas voulu le suivre.
Maria quant à elle, rejoindra finalement son père en France. Elle épousera mon grand-père Rafaël et de leur union naîtront trois enfants dont mon père sans qui je n'aurais pu exhumer toutes ces histoires enfouies.
Mais Maria ne survivra pas à la déportation, elle n'aura pas été la parisienne que je suis devenue et ses moments d’insouciance semblent avoir été de bien courte durée.
Parfois les recherches apportent des moments de bonheur, les rencontres qu'elles occasionnent sont en effet souvent chaleureuses, traversées par une même passion de l'investigation.
Mais trop souvent les histoires que je découvre se révèlent être de véritables Tsourès. Un mot bien souvent entendu dans mon enfance et qui a donné si justement le titre de mon premier récit familial !
Tsourès : de l'hébreu tsarah "difficulté"
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