Le jeu d'échecs


Le jeu d'échecs

 


Ce matin, j'ai retrouvé l'échiquier de mon père, un grand plateau damé en bois de hêtre aux couleurs chaleureuses qui allait de pair avec les pièces imposantes en buis et acacia, bien rangées dans leur boîte.

Malgré sa grande taille, il était dissimulé derrière une valise entreposée dans une petite pièce du sous-sol que j'avais pourtant explorée à plusieurs reprises sans succès.

Je ne sais pourquoi, un beau jour, le plateau dont je gardais un souvenir précis, m'était devenu si précieux. Il me paraissait indispensable et urgent d'associer tous les éléments constitutifs d'un jeu que mon père pratiquait activement : l'échiquier, les pièces, la pendule. Il fallait les prendre en photos et écrire vite quelque chose à ce sujet avant que tout ne s'efface.

Ainsi, depuis plusieurs semaines je le cherchais partout, certaine de l'avoir prêté à un ami de mon fils qui désirait s'initier à ce jeu et après avoir questionné de tous côtés, je commençais à accepter l'idée que je ne le reverrais plus.

Aussi lorsqu'il se révéla à moi quasi mystérieusement alors que je ne le cherchais plus, je ressentis un vif plaisir. Enfin je pouvais reprendre les notes relatives à l'histoire de mon père et clôturer un chapitre.

Mon père aimait les jeux de mots, les anagrammes et jouait au scrabble, mais sa véritable passion était sans conteste le jeu d’échecs. Il suivait avec attention les championnats du monde et je me souviens du match Bobby Fisher/Boris Spassky qui se déroula en 1972 à Reykjavik.

Enfants, nous allions le rejoindre le dimanche, ma mère, ma sœur et moi, et le retrouvions assis dans les allées du jardin des Plantes, jouant au blitz avec de vieux juifs aux noms imprononçables. Ils s’installaient là pendant des heures attirant la curiosité des passants qui parfois commentaient les coups les plus astucieux. Les parties n’en finissaient pas et nous devenions bien impatientes.

Ces moments particuliers m'avaient inspiré ce poème dans les années 1990 :

Joueurs d'échecs

 

À Paris dans le jardin des Plantes

Les joueurs d’échecs

De mon enfance

Ont délaissé les lieux


Ils s’installaient

Le long des allées

Le dimanche après-midi

Sur les chaises de métal


Pensifs et silencieux

Durant de longues heures

Ils jouaient au rythme

Du tic-tac des pendules


Quelques spectateurs attentifs

au regard critique

Initiés ou simples passants

Émettaient parfois un avis


Leurs costumes étaient

Noirs ou gris

Leurs visages vieillissants

Et leurs accents

D’un Est lointain

Me semblaient bien familiers

Aujourd'hui comme souvenir de ce temps révolu, restent le jeu enfin rassemblé, quelques revues « Europe échecs » auxquelles il était abonné et les livres jaunis que je conserve dans ma bibliothèque : le bréviaire des échecs de Xavier Tartakower couvert dès mon enfance avec un papier cartonné vert pour mieux le préserver ; les prix de beauté aux échecs de François Le Lionnais ; deux ouvrages les parties d'échecs de Bobby Fischer de Wade O'Connel  et Échecs à Nice de Michel Benoit.

Dans l'abrégé historique du bréviaire, sont décrites les origines supposées de ce jeu :  hindoue, persane, chinoise, hébraïque, grecque, égyptienne mais « selon toute probabilité, le jeu d'échecs fut inventé aux Indes par Brahmine Sissa et devait être avec ses pièces variées, non seulement un simulacre de la guerre, mais aussi le symbole des devoirs royaux… »

Il est amusant de constater aujourd'hui que le jeu d'échec habituellement réservé à de rares initiés, connaisse un tel regain d'intérêt depuis le confinement avec notamment le succès de la série "Le Jeu de la Dame" diffusée sur Netflix. Le jeu se féminise par mimétisme avec son héroïne, alors que dans mon souvenir ce jeu était quasi exclusivement masculin.


Mireille Podchlebnik le 28 décembre 2020

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