A la recherche de Maria Silberstein : La passante
Elle s’appelait Maria Silberstein.
Silberstein, est un nom aux belles sonorités qui allie
à la grâce la blancheur de la « pierre d’argent » et qui aurait pu
trouver son origine dans une lignée de bijoutiers. Pourtant, c’est une longue
lignée de tailleurs qui la précéda et lui succédera bien qu’aucun membre de sa
famille n’eut jamais eu Schneider pour patronyme.
Longtemps, j’ai cherché quelle femme se cachait
derrière ce nom, interrogeant ceux qui auraient pu la connaître, explorant
assidument listes et registres aussi bien dans les services d’état-civil des
mairies de Paris que dans différents services d’archives.
Paris
Longtemps
à travers tes quartiers
j’ai erré
cherchant les souvenirs
d’une enfance effacée,
une odeur,
un geste
ou un regard lointain
d’hier ou de demain.
Mémoire factice
image à inventer,
dans les rues de Paris
je saurai te trouver.
Mes premières investigations remontent aux années 1987,
alors que Maria constituait déjà une énigme depuis ma plus tendre enfance. Car,
contrairement aux autres personnes que je recherchais, aucune photographie ne
la représentait, aucun document ni parole ne permettait d’évoquer son histoire,
elle n’avait pas d’existence au sein de notre famille.
Je suivais à l’époque la trace des membres de ma
famille disparus pendant la guerre avec pour dessein de retrouver : les
actes de naissance, décès, mariage de ceux qui venus s’installer à Paris,
avaient fondé un foyer et misé dans cette ville tous leurs espoirs de vie.
J’orientais mes recherches vers les quartiers de Paris
les plus populaires pour explorer en priorité les services état-civil des
mairies d’arrondissements vers lesquels avaient afflué le plus grand nombre
d’immigrés et où il me semblait que mes proches auraient pu habiter. Peut-être
avais-je retenu des propos à ce sujet, paroles échangées entre les adultes au
cours de conversations auxquelles les enfants n’étaient jamais conviés.
Ainsi, je misais prioritairement sur les :
troisième, quatrième, dixième, onzième, douzième et vingtième arrondissements
de la ville.
Au gré de mes activités, j’explorais les rues de
Paris, m’arrêtant dans l’une ou l’autre de ces mairies de prédilection, pour
retrouver le document qui pourrait contribuer à initier une histoire.
Dans cet objectif et suivant les conseils d’un
officier municipal, j’adressais au procureur de la République au Tribunal de
Grande Instance de Paris, une demande d’autorisation de consulter les registres
d’état civil de moins de cent ans dans les vingt mairies d’arrondissement de
Paris.
La première autorisation, délivrée en date du 3
octobre 1989 et valable six mois, sera renouvelée par la suite à trois reprises
en 1990, 1991 et 1992.
Ce projet se déploya sur de nombreuses années en
raison, d’une part d’une recherche menée à une époque où la numérisation des
fichiers n’existait pas et d’autre part, du fait des délais inhérents à une
démarche douloureuse, régulièrement interrompue par les aléas de mon existence.
Ces autorisations, obtenues sans difficultés,
constituaient à chacune de mes visites un passeport d’entrée. A sa
présentation, les fonctionnaires de mairie me montraient avec plus ou moins
bonne grâce, les étagères sur lesquelles les registres volumineux, de
couverture cartonnée noire et souvent écornée, étaient classés par années ainsi
que la place de la photocopieuse. Ils me laissaient ensuite travailler tranquillement
dans un espace souvent exigu où je pouvais compulser les livres un à un.
La mairie du douzième arrondissement fut l’un de mes
lieux de recherches privilégié. Il était aisé de m’y rendre car je travaillais
à cette époque à l’hôpital Saint-Antoine et dès qu’une opportunité se
présentait, je m’évadais par la sortie de la rue Crozatier. Ainsi, je
rejoignais très vite la rue de Charenton pour me retrouver, après quelques
minutes de marche, au 130 avenue Daumesnil, adresse de la mairie. Je savais de plus que ma sœur était née dans
cet arrondissement à l’hôpital Rothschild et que ce lieu avait initialement
vocation d’accueillir et soigner les patients d’origine juive.
Après plusieurs mois de recherches infructueuses, je
découvris l’acte de naissance de Maria sous le numéro 290, recopié à la
main d’une écriture ronde, il précisait : « L’an mil neuf cent six, le vingt-sept janvier, à trois heures et demi
du soir acte de naissance de Maria Silberstein du sexe féminin, née hier matin
à huit heures, rue de Picpus, 76 : fille de Salomon Silberstein, âgé de
vingt neuf ans, tailleur, et de Anna Schmeiss âgée de vingt-huit ans, ménagère,
mariés, domiciliés rue des Rosiers 22.. .. » Suivi du nom des
signataires de l’acte.
En marge de l’acte, deux ajouts, l’un porte le numéro
2348 - Mariée à Paris troisième
arrondissement le vingt-six février mil neuf cent vingt-cinq avec Rafaël
PODCHLEBNIK et l’autre 335- Décédée à
Drancy (Seine) le vingt-neuf juillet 1942, la suite est illisible.
Ces annotations datent de 1962 et plus précisément du
10/9/1962 inscrit en regard de ces mentions.
Je me suis étonnée qu’elle soit morte à Drancy et en
fut presque soulagée songeant qu’elle avait échappé à l’enfer de la déportation
vers les camps, mais ce soulagement fut de courte durée car je compris un peu
plus tard qu’il s’agissait d’une indication erronée.
Entre sa naissance en 1906 et sa mort en 1942, j’ai
voulu savoir ce qu’avait vécu pendant trente six ans cette parisienne qui fut, durant
quelques années, l’épouse de mon grand-père paternel.
Le temps
Fluide
Écoule
Écoule
A l’infini
Une perle de nuit
Être dans un autre
Temps
Être autre
De
temps en temps
La passante
Je
suis
la passante du rêve
la passante du crépuscule
la
passante de l’espérance
Enlacée au désespoir
Sur la feuille volante
J’existe
et je n’existe pas
Comme un écho
Je
traverse le temps
Et trace
des ricochets
sur
les saisons de l’absence
Par
delà les chemins
Je suis
Ombre et rosée
du matin
Un soupir un sanglot
qui éclot
Un bourgeon dans le jardin
Métamorphose
floraison
jaune
Je suis
un souffle
le bruissement
dans les bambous
un cri de colère
qui déchire le ciel
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