Un livre, un retour sur le dossier de naturalisation de Rafaël

Le livre de Bastien François Retrouver Estelle Moufflarge est un récit précieux né d’un long et minutieux travail de recherche. 

L’auteur, professeur de sciences politiques à l'université Paris I Panthéon-Sorbonne, part sur les traces d’une jeune fille qui habitait la même rue que lui dans le 18ème arrondissement de Paris et qui connut durant la guerre le destin tragique de la déportation vers le camp d’Auschwitz-Birkenau, le 28 octobre 1943.

Il cherche à reconstituer la trajectoire d’Estelle, interrogeant diverses archives, retrouvant les gens ou descendants de ceux qui auraient pu la connaître et se rend dans les lieux qu’elle a fréquenté que ce soit le quartier populaire Cayenne à Saint-Ouen ou le lycée Jules Ferry où elle fut un temps scolarisée….

Et comme il le dit fort justement : « Moins on a de traces plus l’enquête est longue ».

Partir sur les traces des morts pour que leur vie ne soit pas réduite à ce seul évènement est la quête que je mène depuis des années pour de nombreux membres de ma famille et la lecture de ce livre a fait écho à mon travail. Il complète et apporte de nouveaux éléments sur les recherches possibles et un autre regard sur des documents que j’ai pu récolter. 

En particulier les références historiques et législatives sur les naturalisations éclairent ce que j’ai pu lire dans le dossier de naturalisation mon grand-père Rafaël Podchlebnik que je reprends aujourd’hui avec davantage d’attention. 

Il fera au total 4 demandes de naturalisation : les deux premières datées de 1930 et 1933 lui sont refusées, il semble ne pas avoir déféré aux convocations. Une troisième demande faite en 1935 lui est refusée avec ce motif : assimilation du mari encore insuffisante. L’avis du préfet de Police appuie ce rejet par le fait que Rafaël n’est plus apte au service armé comme précédemment mais seulement au service auxiliaire bien que les renseignements recueillis sur son compte soient satisfaisants!


Dans la partie concernant sa première épouse Maria Silberstein, il est écrit et souligné que sa femme a abandonné le domicile conjugal ce qui n’a pas du jouer en sa faveur alors que la législation devenait plus stricte pour les étrangers.

En effet, les notions d’assimilation, intérêt professionnel, questionnaire de moralité se durcissent à partir de 1930 ce qui peut expliquer le dernier rejet de 1935. Contrairement à son frère Joseph qui a pu être naturalisé avant 1930, mon grand-père n’avait pas fait la demande à une période durant laquelle, comme l’explique l’auteur, les naturalisations de étrangers se faisaient au plus vite afin de les soustraire «  définitivement à la tutelle des représentants au agents des gouvernements étrangers » et assurer ainsi « l’absorption plus complète et parfaite des éléments étrangers dans la nation » …..

Je m’étais par ailleurs étonnée de lire dans leur dossier la formulation très respectueuse et le français précis qui accompagnaient leurs demandes jusqu’à la lecture du livre qui précise que les lettres envoyées au ministre de la Justice comportent généralement les éléments d’une lettre type, peut-être même celle proposée dans une brochure de la Société générale d’immigration (officine patronale crée en 1924).

Une nouvelle demande de Rafaël signée de mars 1936 lui permet le 8 octobre de la même année d’être enfin naturalisé français. Mais une période sombre s'annonce alors avec l'entrée en guerre de la France et les mesures antisémites très zélées du gouvernement de Vichy.

Une séance du 9 octobre 1940 intitulée droit de retrait corrige une faute d’orthographe sur son nom et précise la nationalité française de ses 3 enfants acquise à leur naissance par déclaration. Le retrait de nationalité est notifié pour toute la famille par le décret du 21 mars 1941, JO du 6 avril 1941. En haut du document à droite est écrit juif. La commission de révision des naturalisations précise : mal assimilé, profession sans intérêt.



Il sera arrêté en août lors de la rafle du 11ème arrondissement et déporté à Auschwitz en juin 1942, déchu de sa nationalité. Il n'aura été français qu'un peu plus de 4 ans.....

La commission de révision des naturalisations se réunit le 22 décembre 1942 pour ajouter les noms des 2 autres enfants du second mariage de Rafaël, Marcel et Jean. La machine administrative poursuivait son chemin d’abominations alors même que Rafaël était déjà mort à Auschwitz depuis plusieurs mois.

A la fin de son livre Bastien François précise la composition du convoi par lequel Estelle a été envoyé de Drancy à Auschwitz le convoi 61 du 27 octobre 1943. Il écrit les noms de tous ceux qui le compose et je retrouve parmi eux ceux d'Amélie, Paula et René Podchlebnik pour lesquels j'avais fait quelques recherches il y a des années mais dont je n'avais pu établir le lien avec ma famille paternelle...

Les documents pris en photo proviennent du dossier de naturalisation de Raphaël consulté aux archives nationales de Fontainebleau en 2011. En 2016 les archives ont été transférées à Pierrefite-sur-Seine.

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